Nourrir 11 milliards d’humains

Nourrir 11 milliards de personnes, cest possible ? Lhumanité est en bonne voie pour atteindre les 11 milliards de personnes dici à la fin du siècle, selon de récentes données fournies par lONU.Par James Dyke, University of Southampton

Lhumanité est en bonne voie pour atteindre les 11 milliards de personnes dici à la fin du siècle, selon de récentes données fournies par lONU.

Le problème est somme toute assez simple : les humains sont à lorigine de tous les problèmes de « durabilité ». Si lhomme nexistait pas, il ny aurait pas dimpacts humains néfastes. En supposant que vous ne souhaitiez pas la disparition de la race humaine un désir nourri par certains mouvements écologistes extrêmes et Sir Hugo Drax, un méchant vu chez James Bond alors la question clé reste de savoir sil existe un nombre optimal dhommes pour la Terre.

Un pasteur nommé Malthus

Dès quon sinterroge sur la croissance démographique, les travaux de léconomiste et pasteur anglican Malthus refont surface. Son Essai sur le principe de population, publié à la fin du XVIIIe siècle, est devenu une référence. Selon Malthus, les populations évoluent au regard de trois facteurs déterminants : la fertilité le nombre de personnes nées ; la mortalité le nombre de personnes décédées ; la migration le nombre de personnes entrant ou quittant une population donnée.

Malthus observe quun nombre plus important de naissances que de décès conduirait à une croissance démographique exponentielle impossible à satisfaire, même avec des rendements agricoles intensifiés. Cette croissance incontrôlée conduirait inévitablement à la famine, entraînant des disparitions massives. Si Malthus avait raison au sujet de la croissance exponentielle, il sest en revanche trompé sur son impact désastreux.

Puisque nous réfléchissons au niveau de la planète, laissons de côté laspect migration, vu quil nexiste pas pour linstant déchanges de populations interplanétaires. La hausse considérable du nombre total dêtres humains résulte donc dun déséquilibre entre les taux de fécondité et de mortalité.

 

Une croissance démographique exceptionnelle ces derniers siècles.

 

Rendements agricoles accrus

En se plaçant sur une échelle de temps longue, les récentes évolutions démographiques donnent le tournis. Et cette courbe ascendante met en péril la « capacité porteuse » de la planète. Ce chiffre de 11 milliards pourrait cependant représenter un pic avant damorcer une baisse vers la fin XXIe siècle.

Cela nous conduit à examiner la première erreur de Malthus : il navait en effet pas vu que le processus dindustrialisation et de développement économique qui avait permis dinfléchir le taux de mortalité pourrait être également responsable de la chute de la fertilité. Lamélioration du niveau de vie, laccès à une éducation de qualité et à lautonomie, tout particulièrement pour les femmes, ont eu un impact fort sur la taille des familles. Cette même transition démographique sobserve, avec des variations, dans la plupart des pays du globe.

Ceci explique peut-être comment des populations parviennent à surmonter une croissance insoutenable, mais il reste toutefois remarquable que la Terre ait pu fournir suffisamment pour une population qui a connu une croissance de 700 % quelques siècles seulement. Ce fut la seconde erreur de Malthus. Il ne pouvait tout simplement pas concevoir lincroyable intensification des rendements agricoles rendus possibles par lindustrialisation.

Sept milliards dhumains à nourrir

La « révolution verte » qui a permis de multiplier par quatre la productivité agricole depuis le milieu du XXe siècle a été rendue possible grâce à lirrigation, aux pesticides et aux engrais.

Quon soit omnivore, végétarien ou végétalien, en un sens, nous sommes tous des consommateurs dénergies fossiles, car la plupart des engrais sont produits grâce au procédé Haber. Cette méthode permet dobtenir de lammoniac (nécessaire à lélaboration des engrais) en faisant réagir à des températures et des pressions élevées lazote avec de lhydrogène atmosphérique. Or tout qui nécessite de la chaleur réclame de grandes quantités dénergie ; lhydrogène étant dérivé du gaz naturel, le procédé Haber a donc besoin dénormément de combustibles fossiles. Si lon inclut la production, la transformation, lemballage, le transport, la commercialisation et la consommation, on comprend mieux pourquoi la part du système alimentaire dans la consommation totale dénergies représente plus de 30 %, tout en contribuant aux émissions mondiales de gaz à effet de serre à hauteur de 20 %.

 

Tout ça pour faire pousser les plantes ? Billingham, une des plus grandes usines dengrais du Royaume-Uni. Ben Brooksbank, CC BY-SA

 

Quatre défis majeurs

Si lagriculture industrialisée peut aujourdhui nourrir sept milliards dêtres humains, quest-ce qui nous empêche de penser que cela pourrait être possible pour 11 milliards de personnes ? Si la famine nintervient pas dans ce scénario, bien dautres problèmes pourraient surgir dans un tel cas de figure.

Certaines recherches suggèrent dabord que la production alimentaire mondiale stagne. La révolution verte nest pas aujourdhui à bout de souffle, mais les innovations telles que les OGM, lirrigation optimisée ou encore les fermes souterraines ne suffiront pas.

Deuxièmement, les rendements agricoles élevés que lon connaît aujourdhui supposent des approvisionnements importants et bon marché en phosphore, en azote et en combustibles fossiles pétrole et gaz principalement. Si la pénurie de phosphore minéral ou dhuile nest pas pour demain, ils sont cependant de plus en plus difficiles à obtenir, ce qui les rend plus coûteux. Le chaos qui a touché les systèmes alimentaires mondiaux en 2007-2008 donne une idée de limpact que peut avoir la hausse des prix des denrées alimentaires.

Troisièmement, le sol est menacé. Lagriculture intensive qui exploite sans relâche les champs conduit à son inéluctable érosion. Lutilisation dengrais peut ralentir cette dégradation, mais pas indéfiniment.

Quatrièmement, il nest pas sûr que nous puissions maintenir les rendements à leur niveau actuel dans un monde qui doit faire face au changement climatique. Cest au moment où nous aurons le plus grand nombre de personnes à nourrir que des inondations, des tempêtes, des sécheresses et autres conditions météorologiques extrêmes pourraient impacter très négativement la production alimentaire. Afin déviter un changement climatique néfaste, il nous faut conserver la majorité des gisements de combustibles fossiles de la Terre dans le sol ces mêmes combustibles fossiles dont notre système de production alimentaire raffole.

Si lhumanité veut avoir un avenir, il va falloir sattaquer simultanément à tous ces défis. Lobjectif est de minimiser nos effets sur ces processus naturels qui nous fournissent non seulement de la nourriture, mais aussi leau que nous buvons et lair que nous respirons. Des enjeux bien plus grands que ceux envisagés par Malthus en son temps.

The Conversation

James Dyke, Lecturer in Complex Systems Simulation, University of Southampton

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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