Journée Mondiale de la Population 2007

Curitiba, Brésil : Quid de l’avenir pour la championne de l’urbanisme ?Curitiba (Brésil) Tous les jours à six heures du matin, Elizabeth Pinheiro, mère de cinq enfants, se met en route pour se rendre depuis Vila Torres, la petite favela (bidonville) où elle vit, jusqu’au centre-ville de Curitiba où elle ramasse des vieux journaux, emballages en carton, bouteilles en plastique et conteneurs en aluminium. 

Elle fait le trajet d’environ cinq kilomètres à pied, en traînant une charette à cadre en acier de grandes dimensions et à roues caoutchoutées. Quand la récolte est bonne, elle peut rentrer chez elle à midi, décharger sa charette et repartir en ville après le déjeuner. Revenu moyen de ses activités : 13 reais par jour (environ 6 $EU). 
Elizabeth Pinheiro se situe peut-être au bas de l’échelle des entrepreneurs de cette ville industrielle où sont implantées des sociétés transnationales telles que Renault et Volvo, mais avec ses milliers de confrères et consurs, elle occupe une place importante dans l’ambitieux programme de recyclage municipal. Sa maison, située sur le territoire de la ville en bordure d’un petit cours d’eau, fait fonction de décharge de matériaux recyclables. 
Son mari et elle emploient cinq personnes qui, elles aussi, ramassent et trient les ordures, qu’ils vendent à une entreprise privée le vendredi ou le samedi. 
La ville recycle 3 200 tonnes d’ordures par jour, soit 22 % de sa production totale de déchets, la cible visée étant de 40 %. Le programme de recyclage comprend également une composante novatrice dite « change vert », grâce auquel les familles économiquement faibles peuvent échanger leurs déchets ménagers contre des légumes frais dans 78 stations implantées dans toute la ville. 
Curitiba, capitale de l’tat du Paraná dans le sud du Brésil, s’est attiré des éloges internationaux ces dernières décennies, pour ses accomplissements insignes en matière de planification urbaine, notamment pour son réseau d’autobus à transit rapide extrêmement efficace, ses grands espaces verts et ses programmes de recyclage écologiques. 
Elle donne un parfait exemple des pratiques de gestion des centres urbains que préconise le rapport de 2007 sur l’tat de la population mondiale : libérer le potentiel de la croissance urbaine
Curitiba, ces accomplissements sont dans une grande mesure le résultat d’un plan directeur adopté en 1968 et appliqué sous la houlette de Jaime Lerner, architecte, urbaniste, trois fois maire de Curitiba et deux fois gouverneur du Paraná. Des autobus extra-longs à double articulation dits « métro sur pneus », d’une contenance de 270 personnes, circulent à grande vitesse dans de larges corridors et, du nord au sud et d’est en ouest, transportent sur le territoire municipal 2,2 millions de passagers par jour. Ceux-ci attendent leur autobus dans une station de forme cylindrique où ils achètent leur billet avant de monter dans l’autobus, ce qui accélère les opérations. 
Le coût du système, conçu en tant que « métro de surface », a été d’environ 10 millions $USD par kilomètre, soit un dixième du coût d’un réseau de transport souterrain. 
«  Curitiba, on n’est jamais à plus de 500 mètres d’un arrêt d’autobus », dit Luis Fragomeni, président de l’Institut de recherche et de planification urbaine (IPPUC) de Curitiba. 
Les autobus sont dotés de moteurs diesel classiques. La ville a procédé à des expériences avec des carburants alternatifs, tels que le gaz naturel, mais a reculé devant leur coût. 
Selon M. Fragomeni, son bureau reçoit chaque année la visite de 900 délégations de villes du monde entier qui souhaitent prendre Curitiba pour modèle de développement. Certaines des réalisations de la ville sont évidentes, tels que le système de transports publics, d’autres sont plus subtiles. 
Certaines, tels que l’emploi de troupeaux de moutons dans les parcs publics pour remplacer les tondeuses à gazon, semblent à la fois rationnelles et quelque peu farfelues. 
Les parcs et les espaces verts ont été aménagés à Curitiba avec trois objectifs en tête : pour éviter l’occupation illégale des terres et la construction de logements dangereux, en prévision du drainage et des crues des cinq cours d’eau qui traversent la ville, et pour ménager des espaces pour les activités culturelles et de loisirs. 
Il y a, pour chaque habitant, 51 m 2 d’espaces verts. 
M. Fragomeni note que l’un des plus grands accomplissements de la municipalité est peut-être l’aménagement de son territoire. Une ceinture à forte densité de population parcourt la ville du nord au sud, ce qui donne facilement accès aux principales lignes d’autobus à la plupart des citadins. 
Il souligne par ailleurs le fait que la ville a encouragé la construction d’immeubles de grande hauteur ainsi que d’immeubles bas, en prévoyant aussi de grands espaces verts. 
Clovis Ultramari, professeur d’urbanisme à l’Université catholique de Curitiba note que beaucoup d’autres villes ont rattrapé Curitiba. « Nous racontons la même histoire depuis 10 ans », dit-il. 
Il estime également que, bien que les progrès réalisés par les autres villes soient un effet positif des réussites de la municipalité, il existe des améliorations souhaitables à apporter dans un certain nombre de domaines. 
La gestion d’une agglomération urbaine qui déborde de ses frontières est l’un de ces domaines. 
Curitiba et les 26 villes de sa région métropolitaine comptent aujourd’hui, estime-t-on, 3,2 millions d’habitants. 
Curitiba, à elle seule, a 1,8 million d’habitants, mais les zones périphériques connaissent une croissance plus rapide, ce qui impose des pressions croissantes aux services publics de la ville de même qu’à l’environnement. 
« Le plus grand défi actuel pour nous est de coordonner notre planification avec celle des villes de notre conurbation », dit M. Fragomeni. 
Un point particulièrement préoccupant : l’accès à l’eau potable. Toutes les sources d’eau potable de Curitiba se trouvent hors du territoire de la ville et elles sont vulnérables au développement industriel ainsi qu’à la pollution causée par les ensembles d’habitation, licites et illicites. 
Pour Rosa Moura, chercheuse à l’Institut de développement économique et social du Paraná (IPARDES), les rapports de travail entre l’tat et les autorités municipales doivent être révisés. « Mais, dit-elle, les municipalités résistent parce qu’elles ne veulent pas perdre leur indépendance. » 
Bien que plus riche que beaucoup d’autres villes du Brésil, Curitiba a aussi sa part de favelas, celles-ci étant généralement définies comme des groupes de plus de 50 maisons construites sur des terres occupées illégalement par des pauvres. 
Les programmes de logement, alliés à la participation politique directe et décentralisée de la population, ont peut-être sauvé la ville du chaos urbain souvent associé aux vastes influx d’immigrants ruraux pauvres. 
Mais Alcidino Bittencourt Pereira, directeur du COMEC, organe de coordination de la région métropolitaine de Curitiba, signale que cette région compte 300 000 personnes qui vivent dans des logements illicites et qui n’ont pas accès aux services publics de base, « nombre bien trop élevé au regard des ressources dont nous disposons », dit-il. 
Alors, quid de l’avenir pour la championne de l’urbanisme ? « La ville du peuple », devise de Curitiba, est déterminée à continuer de veiller au bien-être de ses habitants. Elle envisage actuellement l’adoption de nouveaux modèles de transports pour l’avenir. « Mais nos autobus sont appelés à rester pour une centaine d’années encore, dit M. Fragomeni. La nouvelle frontière à présent, c’est la maîtrise sociale de notre développement. »

Trygve Olfarnes

Source : UNFPA

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