Mauritanie : les victimes de viol finissent en prison

Les femmes de Mauritanie qui portent plainte pour agression sexuelle sexposent au risque dêtre incarcérées en raison de lois mal définies et dun phénomène de stigmatisation, qui font porter aux victimes plutôt quà leurs agresseurs la responsabilité du crime, selon un organisme à but non-lucratif local, financé par les Nations Unies.


Photo : Association mauritanienne pour la santé de la mère et de lenfant
Une illustration utilisée par une ONG locale pour sensibiliser les populations de Mauritanie à la violence sexuelle

Le viol reste un sujet tabou en Mauritanie, à tel point quil nest pas abordé dans la loi et que le mot ne figure dans aucun document gouvernemental, selon lAssociation mauritanienne pour la santé de la mère et de lenfant, une organisation non-gouvernementale (ONG) sise à Nouakchott, la capitale. « Le problème, pour décriminaliser la victime, cest que la loi ne définit pas le viol. Comment punir les agresseurs si le crime lui-même na pas été clarifié ? », sinterroge Bilal Ould Dick, conseiller juridique de lassociation.

Pour faire référence aux violences sexuelles dans leurs documents officiels, le ministère de la Santé emploie le terme de « blessures », et le ministère des Affaires sociales, de lEnfance et de la Famille, celui de « violences domestiques », selon Zeinebou Mint Taleb, présidente de lassociation.

Honneur

Aminetou (nom demprunt), 22 ans, a expliqué à IRIN que la police lavait accusée de navoir aucun honneur lorsquelle leur avait rapporté quelle avait été violée, une nuit, chez elle, par un inconnu. « Les policiers mont dit que si je navais pas été disposée à donner ma virginité, il naurait pas pu la prendre ». A 22 ans, elle a perdu son honneur, a cessé de suivre son programme de formation à linformatique, et ne peut plus se marier parce quelle a tenté de porter plainte, a-t-elle confié.

« Personne ne veut plus de moi. Dans ma communauté, ils pensent tout simplement que jaimais le sexe et que pour avoir péché ainsi, je mérite de tout perdre », a-t-elle déclaré.

Délit sexuel

Selon Maître Dick, seuls deux articles de loi interdisent un acte sexuel : les rapports sexuels hors mariage. Cest pourquoi, a-t-il expliqué, bon nombre de victimes présumées de viol sont accusées davoir enfreint la loi. « La femme sera inculpée et sanctionnée au lieu dêtre protégée par la loi ».

La situation est encore plus grave pour les femmes enceintes, a-t-il poursuivi, la grossesse étant considérée comme la « preuve » de leur culpabilité. Sept femmes ont été incarcérées en 2009 pour avoir enfreint la loi contre les rapports sexuels hors mariage, après avoir tenté de dénoncer leurs agresseurs présumés, selon lAssociation mauritanienne pour la santé de la mère et de lenfant.

« …Les policiers mont dit que si je [navais pas été disposée] à donner [ma virginité], il naurait pas pu la prendre … »

Daprès Mme Taleb, présidente de lONG, lorsque des hommes sont interrogés ou détenus, ils sont rapidement relâchés « faute de preuves ».

Matty Mint Doide du ministère des Affaires sociales, de lEnfance et de la Famille, a expliqué à IRIN que le gouvernement révisait actuellement le code pénal pour définir et interdire le viol, et « appliquer les conventions internationales afférentes contre la violence sexuelle ». Parmi les conventions contre les violences sexuelles et sexistes : la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard des femmes, et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Mohamed Lemine Ould Dadde, commissaire aux droits de lHomme, a déclaré à IRIN que le gouvernement sétait engagé à défendre les droits de la femme. Il a nié quen tentant dalerter les autorités, les femmes de Mauritanie étaient injustement rendues coupables des violences sexuelles quelles avaient subies, et a expliqué que, comme tous les pays, la Mauritanie sefforçait dencourager les victimes à se manifester.

Depuis 2003, 430 cas de violence sexuelle ont été déclarés en Mauritanie, contre 28 000 cas de violences domestiques, selon le gouvernement. Les victimes ont porté plainte dans seulement 20 pour cent des cas, selon le ministère des Affaires sociales.

Eyer Chaim, de lAssociation mauritanienne pour la santé de la mère et de lenfant, travaille au commissariat de police de Nouakchott, au sein de la cellule de lutte contre les crimes contre les enfants ; selon lui, le nombre de victimes réel est bien plus important que ne le montrent les registres publics. « Jai connu tellement de victimes qui ont refusé dalerter la police ou daller se faire soigner. Elles préfèrent souffrir en silence pour cacher leur honte au sein dune communauté où les commérages vont bon train ».

Nourra Mint Semane, journaliste de la région, a expliqué à IRIN quil était difficile de parler de viol, à tous les plans, en Mauritanie. « Mes programmes radio sont censurés quand je parle dhistoires de viol. Pour la société mauritanienne, le viol est une honte qui doit être enterrée et celle que lon considère comme la première criminelle, cest la victime elle-même ».

Source : Irin

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