Afrique : le plus grand marché unique du monde en gestation

L’Afrique est en passe de devenir le plus grand marché unique du monde. Un traité commercial, intitulé Zone de libre-échange continentale (ZLEC) (ou African Continental Free Trade Agreement – AfCFTA en anglais) va entrer en application après sa ratification par 24 pays. Il devrait s’étendre à terme à 55 pays du continent.

La décision de lancer le projet de zone de libre-échange continentale a été prise en janvier 2012, lors de la 18e session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine. En juin 2019, 52 États africains sont signataires, et 24 l’ont d’ores et déjà ratifié. Son siège est à Kigali, Rwanda.

Afrique - signature de la ZLEC, Kigali, mars 2018
Signature de la ZLEC, Kigali, mars 2018. Photo : Union africaine

Cette ZLEC doit regrouper les zones de libre-échange qui morcellent l’Afrique : la zone tripartite de libre-échange, qui doit inclure le marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la communauté de développement d’Afrique australe (SADC), ainsi que la communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’union du Maghreb arabe et la communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD).

Cet accord important est un terreau fertile pour les acteurs locaux et attise les convoitises. Le continent devra toutefois surmonter encore de nombreuses barrières pour s’imposer comme une grande puissance économique, à l’instar des blocs économiques que sont l’Union européenne ou L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui deviendra sous peu L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

L’Afrique veut exploiter son potentiel économique, et c’est légitime. D’ici 2050, le continent va gagner 1,3 milliard d’habitants et comptera des pays (comme le Nigéria, actuel 5e, qui devrait devenir le 3e pays le plus peuplé du monde, l’Éthiopie, l’Égypte et la République démocratique du Congo) parmi les plus peuplés et dynamiques du monde. De plus, 42 % de la population africaine fera partie de la classe moyenne urbaine, alors que l’urbanisation se renforce à marche forcée dans tous les pays africains.

Le ZLEC devrait servir d’accélérateur : c’est le plus gros traité de libre-échange depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et il vise à stimuler le commerce intérieur qui représente actuellement seulement 16 % des échanges (contre 69 % en Europe). L’Union africaine estime que les échanges intra-africains devraient augmenter de 60 % d’ici 2022 grâce à l’élimination des droits de douane.

Afrique - Zone de libre-échange continentale (ZLEC)
Afrique – Zone de libre-échange continentale (ZLEC), juin 2019

Ce nouvel espace d’échanges doit d’abord profiter aux acteurs locaux et renforcer les liens entre entreprises et pays. Par exemple, l’année dernière, les startups africaines ont levé quasiment un milliard de dollars (soit 4 fois plus qu’en 2017). Ces levées de fonds devraient exploser dans tout le continent dans les prochaines années, à la faveur du nouveau traité, et grâce à la généralisation des échanges commerciaux et financiers. De plus, les acteurs internationaux sont nombreux à s’intéresser de plus en plus à ce marché, synonyme de fort relais de croissance dans les prochaines décennies.

Le développement des infrastructures, dans tous les domaines, sera l’un des défis majeurs du développement de ce nouveau marché unique continental. Les liaisons entre pays sont encore embryonnaires : peu de grandes routes sûres ou voies ferrées en bon état relient les pays entre eux. La bataille se jouera aussi dans le contrôle des infrastructures : Facebook (États-Unis) construit un nouveau câble sous-marin Simba pour connecter la population et avoir la main sur les données, et Huawei (Chine), qui contrôle déjà la 3G dans plus de 36 pays, est en bonne position pour la 5G. L’Afrique devrait voir émerger ses propres champions économiques.

Mais les défis à surmonter restent nombreux. Tous les pays africains sont à des stades de développement différents, il est donc très difficile de trouver un accord commercial qui réponde à toutes les attentes. D’ailleurs, le Nigéria, première puissance économique et démographique africaine, n’a toujours pas signé l’adhésion au futur traité, et son président actuel Muhammadu Buhari est contre la ZLEC, qui signifierait selon lui la ruine de son projet d’industrialisation du pays qu’il compte mener grâce notamment aux droits de douane récoltés. Le Bénin et l’Érythrée n’ont également pas encore rejoint la ZLEC.

Autre défi, la sécurité. L’insécurité chronique pénalise les affaires et donc les échanges commerciaux, mais bride aussi le développement harmonieux des populations d’un point de vue sanitaire et social. Des groupes criminels et bandes armées dangereux contrôlent toujours des régions entières et gagnent même du terrain, notamment dans la bande sahélo-saharienne, malgré les – trop maigres – efforts des États locaux pour enrayer leur prolifération. La réponse quasi uniquement militaire et répressive ne correspond pas aux attentes des populations locales, qui espèrent au contraire un plus important effort d’investissements dans le développement économique et social.

Enfin, le développement des échanges ne doit pas rester, à long terme, qu’affaire de marchandises et de flux financiers. Il faut également développer les échanges culturels, universitaires, scientifiques et touristiques, et ouvrir beaucoup plus les frontières aux populations, autrement que par l’accueil des réfugiés.

L’avenir d’un continent appelé à être l’un des plus peuplés du monde, soit 4,5 milliards d’habitants en 2100, en dépend.

Partager cet article